Les situations de crise collective sont aussi des moments critiques où se produisent de multiples conversions individuelles, transformant le regard que les agents sociaux portent sur leurs itinéraires passés, sur le monde qui les entoure et donc sur les perspectives futures qui s'offrent à eux. En faisant ressortir la dimension politique des pratiques les plus ordinaires, ces situations recomposent les rapports hiérarchiques entre les groupes sociaux et les formes de capital (économique, culturel) dont ils disposent. Les diverses formes d'engagement et de mobilisation qui les accompagnent font ainsi apparaître les logiques collectives qui président au réajustement des stratégies d'individus aux trajectoires diverses, et pour lesquels la "crise de mai" aura constitué, de façon plus ou moins visible, un tournant : khâgneux de lycées prestigieux reconvertis par la suite dans le journalisme, l'écriture ou l'enseignement, médecins et militantes féministes en lutte pour le droit à l'avortement dans les années qui suivent, autant d'exemples qui permettent d'approcher les possibilités de reconversion offertes autour de 1968 par l'accumulation primitive d'un capital militant.