Que dirait aujourd'hui Hannah Arendt en apprenant que Benjamin Netanyahu a créé une agence gouvernementale de « l'identité nationale juive » ? Dès 1951, elle alertait des dangers qui guettaient l'État-nation Israël à sa création : « Cette solution de la question juive n'avait réussi qu'à produire une nouvelle catégorie de réfugiés, les Arabes accroissant ainsi le nombre des apatrides et des sans-droits de quelque 700 000 à 800 000 personnes. »
Charles Enderlin retrace ici un demi-siècle d'espoirs et de violences au Moyen-Orient. Arrivé en Israël en décembre 1968, il sera très vite familier de la vie politique israélienne, interlocuteur de choix des civils comme des militaires, de la gauche comme de la droite, des religieux comme des laïcs, et des Palestiniens, de l'OLP comme des islamistes. Il assiste dès la guerre d'octobre 1973 aux grands événements de la vie du pays et du Proche-Orient.
Devenu correspondant pour France 2, il va, des années durant, expliquer en pédagogue aux téléspectateurs français les arcanes d'un conflit d'une rare complexité, et leur dévoiler le dessous des cartes. Ce souci d'indépendance lui façonne une image de reporter courageux et d'interviewer coriace, mais fait aussi de lui un ennemi pour les extrémistes de tous bords.
Toujours sur la brèche de l'actualité, partout aux premières loges, le récit épique qu'il fait ici de cinquante ans de bruits et de fureur, mais aussi d'espoirs et de communions, nourris aux informations les plus précises et parfois les plus secrètes, est à la fois une leçon de journalisme et de clairvoyance.
La Révolution française les avait émancipés : elle leur avait accordé les mêmes droits civils et politiques qu'aux autres nationaux à condition qu'ils acceptent de reléguer la pratique religieuse dans la sphère privée. Les Juifs de France jouèrent le jeu et se dévouèrent sans compter à la République, apportant leur contribution au développement de la démocratie et de la laïcité. C'est la grande époque du franco-judaïsme.
Malgré les persécutions antisémites dont ils sont l'objet sous Vichy, les Juifs de France continuent, après la Libération, d'être animés par l'esprit d'intégration républicaine, en dépit de la création de l'État d'Israël (1948). C'est la vague des rapatriés d'Afrique du Nord, après les indépendances, qui donne la première inflexion : les nouveaux venus n'ont pas la même culture de l'intégration que les Juifs issus de l'est européen. La guerre de Six Jours (1967) marque le tournant : Israël attend des Juifs du monde entier un soutien sans faille. S'amorce alors la formation du franco-sionisme : fidélité au pays d'appartenance, bien sûr, mais aussi à Israël et à sa politique, quelle qu'elle soit.
C'est ainsi qu'aujourd'hui les institutions dominantes du judaïsme français s'efforcent de convaincre les Juifs que leur destin est lié non plus au principe d'une République juste et exigeante, mais à un « État nation du peuple juif » à tendance messianique et qui discrimine les minorités non juives.
Du franco-judaïsme dominant sous la IIIe République au virage franco-sioniste d'aujourd'hui, l'histoire des Juifs de France a connu bien des vicissitudes. La voici racontée par l'un de leur fils, sur la base d'une documentation exceptionnelle et à travers un récit riche et coloré.
Plongeant ses sources dans la haute antiquité biblique, sans consistance politique au moment de la création de l'Etat d'Israël en 1948, le fondamentalisme messianique juif a pris son essor en juin 1967, après la conquête de la Cisjordanie et, surtout, du Haram Al-Sharif, le troisième lieu saint de l'Islam - là où se trouvent les ruines du Temple d'Hérode, à Jérusalem-Est, là où le patriarche Abraham a prétendu sacrifier son fils Isaac.
Convaincus que le monde est entré dans l'ère eschatologique, les militants de ce mouvement religieux, allié à la droite nationaliste, s'opposent à toute concession territoriale, et a fortiori à la création d'un Etat palestinien souverain et indépendant.
Les idéaux, la politique, les principes qui ont inspiré le sionisme des origines, libéral et pragmatique, ont été, par contrecoup, complètement marginalisés. Mais le repli sur soi, c'est évidemment la pire des solutions.
Dans ce nouveau document d'enquête, Charles Enderlin décrit la lente diffusion de l'idée messianique au sein de la société et de la classe politique israélienne et l'incompréhension des dirigeants palestiniens face à ces changements. Après deux décennies de négociations avortées avec Israël, l'OLP, qui a raté le coche, a perdu aussi ses interlocuteurs privilégiés et n'a plus d'autre choix que d'envisager l'Etat binational. Mais une telle issue, outre qu'elle signerait le renoncement palestinien à l'indépendance nationale, ne signifierait-elle pas la fin du sionisme et d'Israël tel que nous le connaissons ?
- Le 30 septembre 2000, Mohamed al-Dura, un enfant palestinien, meurt sous les balles devant la position israélienne de Netzarim, à Gaza, filmé par le caméraman de France 2. Diffusée le soir même sur la chaîne publique, avec un commentaire de Charles Enderlin, l'image fait aussitôt le tour du monde. Trois jours plus tard, un certain Yossef Doriel adresse une lettre au journal israélien Haaretz pour expliquer que l'enfant a été tué par les Palestiniens eux-mêmes, à des fins de propagande. L'affaire du petit Mohamed est lancée.Plusieurs mois plus tard, les tenants du " complot palestinien " présentent une nouvelle " explication ". Enderlin aurait menti, il aurait diffusé en pleine connaissance de cause une mise en scène palestinienne, le petit Mohamed ne serait pas mort, un autre enfant que lui aurait été enterré, son père aurait exhibé des cicatrices issues de blessures subies bien avant l'incident de Netzarim. En vertu d'une variante de cette deuxième version, Enderlin n'aurait pas été lui-même à la manoeuvre dans cette mise en scène mais il aurait choisi de couvrir son caméraman, personnellement impliqué dans le complot.Le livre est factuel, précis, écrit à la manière des grandes enquêtes qui ont valu à Charles Enderlin la réputation d'expert international du conflit israélo-palestinien.