La consommation est devenue la morale de notre monde. Elle est en train de détruire les bases de l'être humain, c'est-à-dire l'équilibre que la pensée européenne, depuis les Grecs, a maintenu entre les racines mythologiques et le monde du logos.
L'auteur précise : « Comme la société du Moyen Âge s'équilibre sur la consommation et sur le diable, ainsi la nôtre s'équilibre sur la consommation et sur sa dénonciation. »
«Les objets en particulier n'épuisent pas leur sens dans leur matérialité et leur fonction pratique. Leur diffusion au gré des finalités de la production, la ventilation incohérente des besoins dans le monde des objets, leur sujétion aux consignes versatiles de la mode : tout cela, apparent, ne doit pas nous cacher que les objets tendent à se constituer en un système cohérent de signes, à partir duquel seulement peut s'élaborer un concept de la consommation. C'est la logique et la stratégie de ce système d'objets, où se noue une complicité profonde entre les investissements psychologiques et les impératifs sociaux de prestige, entre les mécanismes projectifs et le jeu complexe des modèles et des séries, qui sont analysées ici.» Jean Baudrillard.
À la différence des sociétés primitives ou traditionnelles, il n'y a plus d'échange symbolique au niveau des sociétés modernes, plus comme forme organisatrice. C'est peut-être pourquoi le symbolique les hante comme leur propre mort, comme une exigence sans cesse barrée par la loi de la valeur.
Sans doute une certaine idée de la Révolution depuis Marx avait tenté de se frayer une voie à travers cette loi de la valeur, mais elle est depuis longtemps redevenue une Révolution selon la Loi. Sans doute la psychanalyse tourne autour de cette hantise, mais elle la détourne en même temps en la circonscrivant dans un inconscient individuel, en la réduisant sous la Loi du Père, de la castration et du signifiant. Toujours la Loi.
Pourtant, au-delà de toutes les économies, politiques ou libidinales, se profile dès maintenant sous nos yeux le schéma d'un rapport social fondé sur l'extermination de la valeur, dont le modèle renvoie aux formations primitives, mais dont l'utopie radicale commence d'exploser lentement à tous les niveaux de notre société : c'est le schéma que tente d'analyser ce livre sur des registres aussi divers que le travail, la mode, le corps, la mort, le langage poétique. Tous ces registres relèvent encore aujourd'hui de disciplines instituées qui sont ici ressaisies et analysées comme modèles de simulation. Miroir de la réalité ou défi théorique ?
Regard neuf sur un monde neuf.
«Baudrillard a l'habileté de renvoyer dos à dos le discours du capitalisme, avec son idéologie du besoin, de la motivation de la consommation, et les idéologies marxistes de la production, qu'il va traquer jusque dans les premiers chapitres du Capital». Jean-Marie Benoist.
" Parlons donc du monde d'où l'homme a disparu. Il s'agit de disparition, et non pas d'épuisement, d'extinction ou d'extermination. L'épuisement des ressources, l'extinction des espèces, ce sont là des processus physiques ou des phénomènes naturels. Et là est toute la différence, c'est que l'espèce humaine est sans doute la seule à avoir inventé un mode spécifique de disparition, qui n'a rien à voir avec la loi de la nature. Peut-être même un art de la disparition. " J. B.
Jean Baudrillard n'était pas que le penseur virtuose et sensuel de la séduction et de la disparition, du fatal et du viral, de la simulation et de l'hyper-réalité. Il était aussi un formidable orateur, déployant avec gourmandise et acuité, face à tous les publics, les interprétations les plus déconcertantes et les analyses les plus provocantes sur les différents sujets à propos desquels on l'interrogeait. Des traces de ce génie de la parole, les innombrables interviews qu'il a données pour les journaux, magazines et revues du monde entier constituent peut-être le corpus le plus précieux, le plus vivant, le plus en prise avec la double actualité du monde et du penseur.
C'est une première sélection de ces entretiens, couvrant la durée entière de sa carrière, que l'on trouvera réunis pour la première fois dans le présent volume, rappelant ainsi à chacun combien, plus que jamais, Baudrillard nous manque.
LES STRATEGIES FATALES A rebours des idées reçues, des dogmes et des idéologies, une radiographie saisissante des sociétés contemporaines.
Les statégies fatales ou la chronique du monde moderne. L'Amour, la séduction; le plaisir, l'obscène...Jean Baudrillard ,explore quelques-uns des chemins de l'actualité.
Jean Baudrillard dans sa période utopienne a publié et dans la revue et sous volume dans la collection «Les Cahiers d'Utopie» ces trois textes. Globalement il s'agissait du parti communiste français (P.C.F., dit le PC) dans ses rapports avec le gauche socialiste et l'ensemble des partis politiques, le PC, à l'époque, était un diapason qui donnait le la.
Il poursuivra cette pensée dans Au royaume des aveugles (Sens&Tonka, rééd. 2002), mais cette fois-ci avec l'autre extrême, celle d'à droite toute, le FN ; dès 1997 il a saisi que le référent allait être celui-là : De l'exorcisme en politique ou la conjuration des imbéciles, le titre est clair, non ? qu'il complétera par Au royaume des aveugles , c'est-à-dire notre actualité (2017).
Jean Baudrillard Mots de passe En analysant, depuis plus de trente ans, les liens qu'entretiennent les grands mouvements de société et l'obsession contemporaine de la production, Jean Baudrillard s'est placé au coeur de la problématique d'une génération rebelle aux repères imposés par la toute-puissance du marché. A la « virtualisation » de notre monde, à l'univocité du « commerce » des signes, aux vertus illusoires de la transparence et aux mystifications de la valeur marchande, il oppose la prodigalité de l'échange symbolique, le défi de la séduction, le jeu infini de l'aléatoire, la réversibilité du destin.
Opérateurs de charme d'une pensée qui se revendique provocatrice et paradoxale, douze mots de passe - de l'« Echange symbolique » à la « Valeur », de l'« Obscène » à la « Transparence du mal », du « Crime parfait » au « Virtuel » - cristallisent ici les idées clefs de ses ouvrages, selon le principe esthétique et pédagogique d'un abécédaire.
Jean Baudrillard appartient à ces penseurs qui s'expriment en marge des systèmes et de la tonitruance médiatique. Il a publié une vingtaine d'essais dont, entre autres, Le Système des objets, De la séduction, La Transparence du mal, L'Echange impossible.
Ces quelques textes sont dans le prolongement de L'Esprit du terrorisme, paru dans Le Monde du 3 novembre 2001, et publié aux Éditions Galilée en janvier 2002.
Il ne s'agit pas de réactualiser l'événement du 11 septembre. Celui-ci était déjà, de par sa puissance, au-delà de l'actualité. Aujourd'hui submergé par elle, il la domine encore. Il n'y a pas d'ordre logique ni chronologique dans ces textes - seul le chapitre " Requiem pour les Twin Towers " se rattache à une intervention faite à New York en janvier 2002. Le propos est de dégager l'événement de la vague d'intoxication morale et politique qui l'a submergé depuis lors, et d'en restituer la puissance symbolique - car, pour ce qu'il en est de sa " vérité ", elle reste à jamais insaisissable.
La pensée et la réalité s'éloignent l'une de l'autre à une vitesse Grand V, selon un mouvement strabique divergent. La pensée louche sur sa perplexité abyssale, et la réalité devient de plus en plus louche.
Le seul moment fantastique est celui du premier contact, quand les choses ne se sont pas encore aperçu que nous étions là, quand elles ne se sont pas encore rangées par ordre d'analyse - ou, pour le langage, quand il n'a pas encore eu le temps de signifier - ou, pour le désert, quand son silence est encore intact et que notre absence n'est pas encore dissipée. Mais cet instant est éphémère, immédiatement révolu. Il faudrait n'être pas là pour le voir. Seuls peut-être les fantômes ont cette jouissance exceptionnelle. Et seul le fragment est assez rapide pour le saisir.
Deuxième volume du journal d'un intellectuel, où les fragments de la réflexion philosophique croisent au gré du temps les événements de l'histoire.
Baudrillard commence ainsi son texte : «Partons de l'espace, qui est quand même bien la scène primitive de l'architecture, et de la radicalité de l'espace, qui est le vide. Y a-t-il nécessité, et une possibilité de structurer, d'organiser cet espace autrement que par une extension horizontale et verticale - autrement dit : est-il possible d'inventer, face à la radicalité de l'espace, une vérité de l'architecture?
Est-ce que l'architecture s'épuise dans sa réalité, dans ses références, dans ses procédures, dans ses fonctions et ses techniques, ou est-ce qu'elle n'excède pas tout cela pour s'épuiser dans autre chose, qui serait sa propre fin, ou qui lui permettrait de passer au-delà de sa fin ? Est-ce que l'architecture existe encore audelà de sa vérité, dans une sorte de radicalité, de défi à l'espace (et non seulement de gestion de l'espace), de défi à cette société (et non pas seulement d'obéissance à ses contraintes et de miroir des institutions), de défi à la création architecturale elle-même, à l'architecte créateur ou à l'illusion de sa maîtrise ?
Voilà. Je [veux] cerner ce qu'il en est de l'illusion architecturale. » Dans ce texte aussi court que magistral la pensée baldrillardienne s'exprime avec majesté : le paradoxe, à savoir : poser l'essence brève et indiscutable de la chose sur laquelle son regard se pose, clore à un point de contention absolue la raison du raisonnement et, enfin libérer la liberté de pensée et d'action de la chose posée.
Rarement une pensée sur, ou à propos de l'architecture le fut avec cette acuité, sans doute inadmissible, avec une aussi jolie tendresse, car c'est là le paradoxe baldrillardien : aimer ce que l'on repousse, épouser le haï pour le contraindre à sa radicalité fervente et heuristique. Fin de toute dialectique.
En voici un bel exemple que je trouve dans l'annexe : «L'architecture ne peut se vouloir qu'une allégorie idéale de la cité, [...] c'est celle-ci qui s'empare de l'architecture malgré elle, et qui fait éventuellement [sic] de ses productions des monstres. [...] L'architecture ne construit plus, dans sa forme ambitieuse, que des monstres - en ce qu'ils ne témoignent pas de l'intégrité d'une ville, mais de sa désintégration, non de son organicité, mais de sa désorganisation. [...] Leur fonction [...] est celle d'un lieu d'expulsion, d'extradition, d'extase vide, de banquise spatiale. » L'observation juste relève d'une tendresse terrifiante, d'une mémoire acide, celles de la pensée radicale. H.T.
Cet ouvrage regroupe quatre conférences que Jean Baudrillard a données en 2005, peu avant sa mort. Elles sont inédites en Français.
« En tout état de cause, il faut reposer la question du «capital". Est-ce qu'il existe encore quelque chose comme le capital, et, si crise il y a, quelle est l'essence de cette crise ? Essayer de passer "through the looking glass", au-delà du miroir de la production.
Y a-t-il encore de l'exploitation ? Peut-on encore parler d'aliénation ?
Sommes-nous devenus les otages (non plus les esclaves, mais les otages) d'un marché mondial, sous le signe définitif de la mondialisation ? Mais peut-on encore parler de "marché" ? Et le capitalisme n'est-il pas arrivé au point de détruire ses propres conditions d'existence ? Le problème est celui de l'échange généralisé, dont le marché serait le lieu à la fois idéal et stratégique. C'est peut-être d'ailleurs la destination fatale du capital que d'aller au terme de l'échange - vers une consommation totale de la réalité. » « Le Système, parvenu à son point de réalisation intégrale, d'accomplissement définitif, puisque nulle négativité ne peut désormais le mettre en échec, est incapable désormais de se dépasser "vers le haut" (Aufhebung), et il entame un processus d'annulation de lui-même (Aufhebung encore, mais dans le sens de dissolution). »
Cet entretien entre Jean Baudrillard et Jean-Louis Violeau.
Date de 2001. Dans le cadre de sa thèse d'État Jean-Louis Violeau étudie les groupes radicaux des années soixante-dix, notamment en France ceux de la mouvance conseilliste, dont le groupe Utopie dont fit partie Jean Baudrillard, qui n'avait jamais commenté son adhésion à ce groupe dont il était l'un des cinq fondateurs (pas plus d'ailleurs qu'il n'a jamais expliqué ses engagements dans ceci ou dans cela, Jean Baudrillard accompli plus qu'il ne commente).
Ceci est l'histoire d'un crime - du meurtre de la réalité.
Et de l'extermination d'une illusion - l'illusion vitale, l'illusion radicale du monde. le réel ne disparaît pas dans l'illusion, c'est l'illusion qui disparaît dans la réalité intégrale. si le crime était parfait, ce livre devrait être parfait lui aussi, puisqu'il veut être la reconstitution du crime. hélas, le crime n'est jamais parfait. d'ailleurs, dans ce livre noir de la disparition du réel, ni les mobiles ni les auteurs n'ont pu être repérés, et le cadavre du réel lui-même n'a jamais été retrouvé.
Quant à l'idée qui préside au livre, elle n'a jamais pu être repérée non plus. c'était elle l'arme du crime. si le crime n'est jamais parfait, la perfection, elle, est toujours criminelle, comme son nom l'indique. dans le crime parfait, c'est la perfection elle-même qui est le crime, comme dans la transparence du mal, c'est la transparence elle-même qui est le mal. mais la perfection est toujours punie : la punition de la perfection, c'est la reproduction.
Si les conséquences du crime sont perpétuelles, c'est qu'il n'y a ni meurtrier ni victime. s'il y avait l'une ou l'autre, le secret du crime serait levé un jour ou l'autre, et le processus criminel serait résolu. le secret, finalement, c'est que l'un et l'autre soient confondus : " en dernière analyse, le meurtrier et la victime sont une seule personne. nous ne pouvons concevoir l'unité de la race humaine que si nous pouvons concevoir, dans toute son horreur, la vérité de cette ultime équivalence.
" (eric gans). en dernière analyse, l'objet et le sujet sont un. nous ne pouvons saisir l'essence du monde que si nous pouvons saisir, dans toute son ironie, la vérité de cette équivalence radicale.
L'incertitude du monde, c'est qu'il n'a d'équivalent nulle part, et qu'il ne s'échange contre rien.
L'incertitude de la pensée, c'est qu'elle ne s'échange ni contre la vérité ni contre la réalité. est-ce la pensée qui fait basculer le monde dans l'incertitude, ou le contraire ? cela même fait partie de l'incertitude. tous nos systèmes convergent vers un effort désespéré pour échapper à cette incertitude radicale, pour conjurer cette fatalité de l'échange impossible. ils ont tous échoué, mais cette fois, il semble bien que nous tenions la solution finale, l'équivalent définitif, dans l'invention de la réalité et de l'intelligence virtuelle sous toutes ses formes.
Pourtant les jeux ne sont pas faits. de cette équivalence définitive font irruption toutes les formes antagonistes de la singularité et du destin - tout ce qui se joue de cette incertitude radicale et qui fait de l'impossibilité même de l'échange sa règle du jeu. chacun est sans doute présent avec sa volonté et son désir, mais, dans le secret, les décisions et les pensées lui viennent d'ailleurs. et c'est dans cette interférence très étrange qu'est son originalité, son destin - auquel nous cherchons continuellement à échapper.
L'amérique sidérale. le caractère lyrique de la circulation pure. contre la mélancolie des analyses européennes. la sidération immédiate du vectoriel, du signalétique, du vertical, du spatial. contre la distance fébrile du regard culturel. l'allégresse de l'obscénité, l'obscénité de l'évidence, l'évidence de la puissance, la puissance de la simulation. contre notre virginité déçue, nos abîmes d'affectation. la sidération. celle, horizontale, de la voiture ; celle, altitudinale, de l'avion ; celle, électronique, de la télévision ; celle, géologique, des déserts ; celle, stéréolytique, des mégalopoles ; celle, transpolitique, du jeu de la puissance, du musée de la puissance qu'est devenue l'amérique pour le monde entier.
Au-delà de la fin, à l'ère du transpolitique, du transesthétique, du transsexuel, toutes nos machines désirantes deviennent de petites machines célibataires, épuisant leurs possibilités dans le vide. Le compte à rebours, ainsi celui qui décompte le temps sur la Tour Effeil de Paris, cette fin là n'est plus le terme symbolique d'une histoire, mais la marque d'un épuisement potentiel, d'une comptabilité dégressive, c'est le code de disparition automatique du monde. Réédition d'un texte indisponible depuis plusieurs années.
Jean baudrillard, observateur de notre société contemporaine, est aussi un observateur de la pensée théorique.
Au lieu de se lamenter sur la perte de la pensée et l'absence de la théorie il "reverse" la question en montrant que cette " perte " est en quelque sorte naturelle à la pratique sociale et que contrairement à ce que l'on pense cette "absence" indique une présence que le regret, la pensée nostalgique, le remord occultent, et que les exigences n'ont pas à disparaître ni à se dissoudre dans la morale.
La pensée radicale consiste à pousser à son extrême le système qui guide les jugements et les goûts, et tend à démontrer que l'analyse ad hominem du système permet d'exercer non plus une " critique critique " mais une attitude qui ignore tous ressentiments et toutes nostalgies au profit d'une réalité radicale, " l'ennui avec la réalité, c'est qu'elle va au-devant des hypothèses qui la nient ". de plus, dans l'ouvrage présenté ici, jean baudrillard jette un beau regard ironique sur les concepts qu'il a exploités, comme le simulacre, le symbolique et la simulation par exemple.
Par ce livre-charnière qui traverse les thèmes dominants de son oeuvre, les visitant, les corrigeant, les revitalisant si la nécessité des temps s'en fait sentir, Jean Baudrillard cherche à se « mettre dans la position d'un voyageur imaginaire qui tomberait sur ces écrits comme sur un manuscrit oublié et qui, faute de documents à l'appui, s'efforcerait de reconstituer la société qu'ils décrivent ».
" on peut concevoir ainsi la modernité comme l'aventure initiale de l'occident européen, puis comme une immense farce qui se répète à l'échelle de la planète, sous toutes les latitudes où s'exportent les valeurs occidentales, religieuses, techniques, économiques et politiques.
Cette "carnavalisation" passe par les stades eux-mêmes historiques, de l'évangélisation, de la colonisation, de la décolonisation et de la mondialisation. ce qu'on voit moins, c'est que l'hégémonie, cette emprise d'un ordre mondial dont les modèles [...] semblent irrésistibles, s'accompagne d'une réversion extraordinaire par où cette puissance est lentement minée, dévorée, "cannibalisée" par ceux qu'elle carnavalise.
" jean baudrillard.