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Pourquoi les araignées géantes des films d'horreur ou les Lilliputiens que découvre Gulliver au cours de ses voyages ne se rencontrent jamais « en vrai » ? Parce que dans la réalité, la taille n'est pas un paramètre que l'on pourrait fixer à volonté : chaque être vivant n'est viable qu'à l'échelle qui est la sienne. En deçà ou au-delà, il meurt, à moins qu'il ne parvienne à se métamorphoser. Il en va de même pour les sociétés et les cultures. La plupart des crises contemporaines (politiques, économiques, écologiques, culturelles) tiennent au dédain affiché par la modernité pour les questions de taille. Nous mesurons tout aujourd'hui, des volumes de transactions à la bourse aux taux de cholestérol, de la densité de l'air en particules fines au moral des ménages. Mais plus nos sociétés se livrent à cette frénésie de mesures, moins elles se révèlent aptes à respecter la mesure, au sens de juste mesure. Comme si les mesures n'étaient pas là pour nous aider à garder la mesure mais, au contraire, pour propager la folie des grandeurs.
Ce livre s'attache à décrire et comprendre par quelles voies, au cours des derniers siècles, nous avons perdu la mesure. Et aussi ce sur quoi nous pourrions nous fonder pour la retrouver, afin de mener une vie authentiquement humaine. -
La statistique est aujourd'hui un fait social total : elle règne sur la société, régente les institutions et domine la politique. Un vêtement de courbes, d'indices, de graphiques, de taux recouvre l'ensemble de la vie. L'éducation disparaît derrière les enquêtes PISA, l'université derrière le classement de Shanghai, les chômeurs derrière la courbe du chômage... La statistique devait refléter l'état du monde, le monde est devenu un reflet de la statistique.
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Qui ignore ce qu'est l'eau ? Chacun a une connaissance intime et immédiate de cet élément frais, liquide, miroitant et irrésistiblement attiré vers le bas. Comment en sommes-nous arrivés, dès lors, à laisser cet élément premier, si présent dans notre expérience de tous les jours, si prégnant dans notre imaginaire, si riche de symbolique, être défini par la laconique formule chimique H2O ? Que perdons-nous dans cette opération ?
La science moderne s'est édifiée en répudiant les sensations, les impressions immédiates, au profit de la raison et des mesures : notre rapport au monde en a été bouleversé. Précisé à bien des égards, appauvri à d'autres. À présent qu'une chose aussi simple que l'eau devient une affaire d'analyse chimique et une ressource à gérer, on peut se demander : la science a tenu sa promesse de dévoiler le monde dans sa vérité ? Nous en a-t-elle rapproché, ou éloigné ?
Dans cet essai brillant et sensible, Olivier Rey s'attache à retrouver ce que, chemin faisant, nous avons perdu de l'eau. De Léonard de Vinci à Bachelard et Ponge, en passant par Courbet, il remonte son cours, afin de rendre à l'eau sa dignité, et nous faire éprouver, grâce à elle, ce qui ne se laisse pas mettre en formule : la poignante volupté d'être au monde.