Dès la fin du Moyen Âge, des dissections anatomiques commencèrent à être pratiquées, en Europe, sur des cadavres humains. À partir de la Rennaissance, l'ouverture de corps morts à des fins d'enseignement et de recherche se généralisa, et prit un extraordinaire essor qui s'est prolongé jusqu'au début du xixe siècle. L'Occident moderne a vu s'instaurer, à travers l'anatomie, un regard spécifique, fondé sur la fragmentation, la mise en pièces du corps, soumis également à une véritable colonisation: on en a dressé les cartes, on a établi une nomenclature, on a découvert des régions, des parcelles dans une chair que l'on explorait en la découpant. En tant que dispositif de connaissance, l'anatomie a façonné son objet. Ce fut l'invention d'un corps: segmenté, architectural, mécanique. Or à la base du travail des anatomistes on retrouve un paradoxe majeur: ils s'attaquaient à des corps morts, alors qu'il s'agissait de comprendre le vivant. Le cadavre, source d'effroi et de répulsion, dicta aussi ses règles et posa ses limites au savoir qui en fit sa matière première. Au croisement de la médecine, de l'esthétique, de la religion, des discours les plus variés et des cadres mêmes de la pensée s'est constituée, en Occident, une «civilisation de l'anatomie». Ce livre en propose un parcours, afin de tracer les contours des principaux traits de la construction historique d'un corps et d'une sensibilité qui, à plusieurs égards, sont encore les nôtres aujourd'hui. R. M.
Au milieu du dix-septième siècle, un vent de folie souffle sur le monastère de Louviers. Quatorze au moins des religieuses, des femmes dont le corps a divorcé d'avec la modestie, l'esprit avec la soumission, se livrent à des actes de débauche lors de sabbats nocturnes, prostituant leur corps aux diables, égorgeant des nouveau-nés. Tout ce qu'une imagination en délire peut inventer d'absurdités, d'infamies est confessé.
Les autorités s'emparent des événements, les exorcistes s'informent des noms des démons, des charmes qu'ils ont pu répandre ; les médecins sont convoqués en masse pour expertiser les corps et les âmes, devant émettre un avis fondé sur la réalité de la possession. Les rapports publiés font état des tensions qui traversent alors le champ du savoir médical en France.