Oui donc‚ adieu. Maintenant‚ je suis seul.
Ô quel esclave rustre et sale suis-je !
N'est-il pas monstrueux que cet acteur‚ Ici‚ dans rien qu'une fiction‚ le rêve D'une passion‚ ait travaillé son âme Si bien qu'il l'a coulée dans son idée - Et ce travail lui blêmit la figure‚ Le fait pleurer‚ lui donne l'air hagard‚ La voix brisée‚ accordant tout son corps Aux formes de l'idée - et tout cela Pour rien... Hécube !
Qu'est-ce pour lui‚ Hécube‚ et‚ pour Hécube‚ lui‚ Qu'il doive la pleurer ? Que ferait-il Si les raisons que la passion lui souffle Étaient les miennes ? Il viendrait noyer Les planches de ses pleurs‚ déchirerait L'oreille du public d'affreux discours‚ Rendrait fou le coupable‚ il ferait peur À l'innocent et confondrait le rustre‚ Frappant dans leur tréfonds l'oreille et l'oeil.
Si nous vous avons offensés, ombres que nous sommes, pensez que vous ne faisiez que dormir quand ces visions venaient surgie et ce fragile et vain mensonge, aussi évanescent qu'un songe, seigneurs, accordez-lui pardon : alors, nous nous amenderons.
Oui, foi de puck, en vérité, si une chance imméritée nous épargne le noir venin, nous nous amenderons demain...
Cette traduction a été créée le 11 mai 2004 à l''occasion de l'inauguration du Nouvel Olympia de Tours dans une mise en scène de Gilles Bouillon.
Est-ce un poignard que je vois devant moi, Le manche vers ma main ? - Que je t'empoigne !
Je ne t'ai pas, et je te vois toujours.
Toi, n'es-tu pas, vision de mort, présente Aux sens comme à la vue, ou n'es-tu rien Qu'un poignard de l'esprit, création fausse, Fruit d'un cerveau qu'oppressent des vapeurs ?
Mais je te vois, de forme aussi palpable Que celui-ci, que je dégaine.
Tu me contrains à poursuivre la route Où je marchais, et tel est l'instrument Dont il allait falloir que je me serve.
Mes yeux sont rendus fous par tous mes sens Ou tous mes sens sont fous - et je te vois Toujours...
LEAR.
Soufflez, les vents, à vous crever les joues, Vous, cataractes, torrents drus, crachez, Noyez le dard des clochers et leurs coqs, Éclairs soufrés, foudroyant la pensée, Avant-coureurs du feu qui fend le chêne, Brûlez mes cheveux blancs ! Tonnerre, frappe La gravide rondeur du monde, écrase Les moules de Nature et dissémine La semence d'où germe l'homme ingrat.
LE FOU. - Oh, mononc', eau bénite de cour en logis bien sec vaut mieux que pluie comme il en tombe ici. Mononc', mon bon, rentre, demande à tes filles leur bénédiction. Cette nuit-ci n'a pitié ni des sages ni des fous.
Pendant cette tempête. La rencontre Laisse vos gens si fort abasourdis Qu'ils en dévorent leur raison et peinent A croire que leurs yeux font leur office En vérité, que leurs paroles sortent D'un souffle naturel ; si bousculés Que vous ayez pu être hors de vos sens, Sachez pour sûr que je suis Prospéro, Ce même duc expulsé de Milan, Qui, très étrangement, a débarqué Sur cette côte où vous fîtes naufrage, Pour en être le roi. Mais plus un mot, Car c'est une chronique au jour le jour, Non un récit pour un premier repas, Qui ne sied pas aux retrouvailles.
Mes compagnons‚ mes frères en exil.
Notre longue habitude ne rend-elle.
Plus douce notre vie en ces espaces.
Qu'au sein des pompes peintes ? Ces forêts.
Ne sont-elles plus libres que la cour ?
Nous sentons moins le châtiment d'Adam.
Et les saisons changeantes : quand la glace.
Quand l'injure gelée du vent d'hiver.
S'accrochent et me mordent tous les membres.
Quand j'en tremble de froid‚ oui‚ même alors.
Je souris et je dis : ces conseillers.
Eux‚ sans chercher à me flatter‚ ne veulent.
Que me montrer ce que je suis vraiment..
Doux est l'usage de l'adversité.
Qui‚ comme le crapaud‚ laid‚ venimeux.
Porte à son front une gemme précieuse.
Et notre vie‚ loin des séjours communs.
Trouve une langue aux arbres‚ lit des livres.
Dans le cours des rivières‚ des sermons.
Dans les pierres‚ du bien en toute chose.
Le duc de vienne, parti en voyage, a confié la régence au plus digne, le seigneur angelo.
Ce magistrat honnête tombe le masque et va se comporter en abominable tyran, exhumant une loi absurde tombée en désuétude : le seigneur claudio est condamné à mort pour avoir forniqué avec sa fiancée hors des liens du mariage. devenu amoureux de la novice isabella, soeur de claudio, il lui promet de gracier son frère si elle lui cède son corps. harcelée par claudio, elle y consent, mais le " retour " du duc, caché à la cour sous des habits de moine, confondra le régent.
Comme le remarque justement anny crunelle-vanrigh dans son analyse, le duc, autant que shakespeare, " invente " angelo. il le pousse sous les projecteurs, ouvre pour lui une scène sur la scène, et devient spectateur de l'expérience. (. ) il épie la rencontre entre claudio et isabella. (. ) son intervention consiste à réécrire en comédie la tragédie qui s'annonçait. (. ) on bouscule le jeu des forces tragiques en inventant de nouveaux personnages.
Mariana surgit du capuchon du moine, tel un " corpus ex machina " pour défaire le noeud de l'intrigue. cette autre histoire remplace et annule la première. (. ) effacement magique et magie du jeu. dans le théâtre du moine, comme dans tout théâtre, tout est feint, la souffrance et la mort. claudio est mort mais toujours vivant, isabella déflorée mais encore vierge, mariana délaissée mais épousée. (. ) c'est la victoire du jeu.
Alors, de quoi donc parle mesure pour mesure ? : morale, politique, religion ? non, d'abord de théâtre. et donc aussi, par conséquent, de morale et de politique. cette pièce, qui fascine tant les metteurs en scène (lugné-p?, brook, zadek, braunschweig, nichet) par sa noirceur festive, est considérée comme la plus sombre des comédies de shakespeare. avec la nouvelle traduction de jean-michel déprats qui fait apparaître enfin toute la finesse des jeux de langages et des mots d'esprit, elle devient aussi, sans aucun doute, une des plus brillantes.
Pourquoi ? Mais quoi, toute chose terrestre Ne crie-t-elle sa honte ? A-t-elle pu Nier l'histoire imprimée dans son sang ?
Non, n'ouvre plus les yeux, Héro, sois morte.
Si je ne te pensais agonisante, Si je croyais que ta conscience allait Résister à tes hontes, c'est moi-même, Comme un dernier renfort de tes remords, Qui frapperais ta vie. Et j'étais triste De n'en avoir qu'un seul ? Et j'en voulais À la frugalité de la nature ?
Tu étais une en trop-pourquoi rien qu'une ?
Pourquoi as-tu toujours été aimable À mes regards ? Pourquoi, par charité, N'ai-je pas recueilli l'enfant d'un pauvre, Dont, s'il se fût ainsi souillé d'ordure, J'aurais pu dire : « Rien de moi n'est sale, C'est de reins inconnus que vient la honte. » « Écrite dans les dernières années du règne d'Elizabeth, en 1598, Beaucoup de bruit pour rien est la première des pièces que Shakespeare consacre plus particulièrement à la Rumeur. D'Othello (1603) au Conte d'hiver (1610) en passant par Cymbeline (1609), les chuchotements de la calomnie sèment la haine, la jalousie et la mort. [.] Mais son traitement dans cette comédie est différent de ce que l'on va trouver ailleurs, car si la Rumeur est calomnie et entraîne l'action vers la tragédie, elle peut aussi avoir des effets positifs. » Margaret Jones-Davies, extrait de la préface
Pièce monstre, prenant pour théâtre la totalité du monde antique connu, embrassant en cinq actes fous dix années de chaos politique et de guerres fratricides d'où émergera un monde nouveau (en grande partie le nôtre), Antoine et Cléopâtre est un chant du Cygne, un crépuscule des Dieux. La démesure même de l'oeuvre semble porter en elle l'éclat du monde qu'elle voit s'éteindre.
Antoine et Cléopâtre : un amour fou, une histoire impossible. L'une des trois pièces de Shakespeare à porter le nom d'un couple. Comme Troïlus et Cressida, le général romain et la reine d'Égypte vivent leur histoire en temps de guerre. Comme Roméo et Juliette, leur passion ne s'achèvera qu'avec leur mort. Mais contrairement aux amants de Vérone, Antoine et Cléopâtre n'en sont plus à la jeunesse de l'amour. Lui est marié à la soeur d'Octave ; elle a été la compagne de Jules César. Avant même de se rencontrer, chacun sait que l'autre va user de la séduction comme d'une arme politique. Et pourtant, dans cet univers où seuls semblent compter l'ambition, le pouvoir nu et le rapport de forces, c'est bien l'amour qui va surgir entre ces deux êtres, irrésistible. Envers et contre tout et tous, y compris eux-mêmes, par-delà les désillusions, les calculs, les trahisons, Antoine et Cléopâtre s'obstineront à partager le même rêve : celui d'inventer un monde où le Tibre et le Nil mêleraient enfin leurs eaux. Ce rêve a pris fin au large d'Actium, en 31 avant J.-C., lorsque leur flotte fut mise en déroute par celle d'Octave César. Mais même le futur Auguste ne put empêcher ce rêve englouti de revenir hanter l'Histoire.
Je disais des malchances désastreuses Le bouleversement des aventures Sur mer, sur terre, et la mort qui me frôle À un cheveu sur la brèche qui brûle, L'ennemi insolent qui me saisit Pour me vendre en esclave ; je disais Ma rédemption et ma longue patience, L'histoire de mes pérégrinations ;
Là, les déserts sans fin, les vastes grottes, Chaos de roches, rocs grimpant au ciel Peuplaient mes mots - tel fut mon procédé - Et puis, les Cannibales, qui se mangent Les uns les autres, les Anthropophages, Et puis ces hommes dont la tête pousse En dessous des épaules. Desdémone Fut fort encline à écouter cela...
Un cheval ! Un cheval ! Bandez mes plaies !
Pitié, Jésus - oh, ce n'était qu'un rêve.
Conscience lâche, comme tu me fouettes !
Les lumières sont bleues ; la nuit est morte.
Une sueur d'effroi glace ma peau.
J'ai peur de quoi ? De moi ? Bah, je suis seul ;
Richard aime Richard, moi, j'aime moi.
Y a-t-il un assassin ici ? Oui, moi.
Fuis donc ! Quoi, de moi-même ? En quel honneur ?
De peur que je me venge ? Sur moi-même ?
Je m'aime, hélas. Pourquoi ?
Pour un bienfait Que je me serais fait un jour moi-même ?
Oh non, hélas, non, plutôt je me hais.
Pour tout ce que j'ai fait de haïssable.
Rien ne appartient que notre mort, Et ce moule tremblant de terre nue Qui sert de pâte et habille nos os :
Au nom du Ciel, asseyons-nous par terre, Et disons des histoires déplorables De mort des rois, les uns tués en bataille, Les autres déposés, d'autres hantés Par le spectre de ceux qu'ils déposèrent, D'autres empoisonnés par leur épouse, Tués en dormant - mais tous, assassinés, Car la couronne creuse qui entoure Les deux tempes mortelles de vos rois Est le séjour où la Mort tient sa cour, C'est là le lieu où siège le grotesque...
«Le péché d'orgueil dans l'oeuvre de Shakespeare peut être à l'origine des tempêtes‚ des éclipses‚ un déchaînement dans les éléments. Mais le monde ne déploie plus ses décors dans Troïlus et Cressida. Il n'y a ni feu‚ ni air‚ ni eau‚ ni terre. La mer n'est plus que le lieu d'échanges commerciaux. L'enveloppe sécurisante des éléments semble s'être déjà dissoute et l'homme seul avec lui-même subit les conséquences du mal qu'il génère en lui-même.»
Imaginez quelqu'un qui a perdu vingt et un fils au champs de bataille, qui a tué le vingt-deuxième dans un accès de rage , qui a une fille victime d'un viol et amputée sauvagement de ses deux mains et de sa langue ; qui a deux autres fils qui sont injustement accusés d'un meurtre. On lui signale qu'il peut épargner la peine de mort à ses deux fils s'il se coupe lui même une main. Il s'y exécute, mais on lui renvoie les deux têtes de ses fils et sa main avec un mot railleur.
On attend qu'une suprême fureur brise toutes les digues, mais Titus rit seulement. En sortant avec son frère avec les deux têtes sur les bras, il dit à sa fille, comme pour ne pas la laisser à part : "Porte ma main, ma douce, entre tes dents." Lukas Hemleb.
Noble Orsino, Vous me donnez des noms que je refuse, Je n'ai rien d'un voleur ou d'un pirate Même si, je l'avoue, je l'ai prouvé, Je fus votre ennemi. Si je suis là, C'est attiré par un pouvoir magique :
Cet ingrat, ce garçon à vos côtés, De la bouche écumante des tempêtes Je l'ai sauvé ; il n'avait plus d'espoir ;
En lui rendant la vie, c'est mon amour Que je lui ai offert, sans restriction, En me vouant à lui.
Vous faites profession d'ignominies‚ Commettez-les‚ mais en bons ouvriers.
Écoutez ces exemples sur le vol.
Le soleil‚ ce voleur‚ pille la mer Par sa vaste attraction ; la lune vole Et tire son feu pâle du soleil ;
La mer aussi dont les rouleaux liquides Font en larmes salées fondre la lune ;
La terre vole‚ elle qui se nourrit Et qui nourrit d'un fumier dérobé Aux excréments de tous ; la moindre chose Vole ; les lois‚ votre fouet‚ votre bride‚ Par leur pouvoir sanglant sont elles-mêmes Du pur pillage ; ne vous aimez pas Les uns les autres‚ volez-vous‚ allez‚ Tenez‚ encor de l'or‚ coupez les gorges‚ Tous ceux que vous croisez sont des voleurs Tournez-vous vers Athènes‚ défoncez Les boutiques‚ volez‚ c'est des voleurs Que vous pillez ; pillez moins que cet or Que je vous donne et qu'il vous ruine tous :
Amen.
Moi, qui suis tronqué de belles proportions, Frustré d'allure par la fallacieuse Nature, Difforme, inachevé, expédié avant l'heure Dans ce monde pantelant, à peine à moitié fait, Si bancal et si laid Que les chiens aboient à mon pas de boiteux ;
Eh bien, moi, en ces temps de paix où fredonnent de frêles pipeaux, Je n'ai aucun plaisir à passer le temps, Si ce n'est d'épier mon ombre au soleil Pour porter le contrechant de ma difformité ;
Et donc, si je ne puis me montrer amoureux Ni savourer ces beaux jours de beaux parleurs, Je suis déterminé à me montrer criminel Par haine des vains plaisirs de ces jours.