Celui qui a poignardé Salman Rushdie le 12 août 2022 à New York n'était pas né en 1989, lorsque l'ayatollah Khomeiny lançait une fatwa condamnant à mort l'auteur des Versets sataniques. Que s'est-il passé d'irrévocable avec ce roman pour que trente-trois ans plus tard, l'acharnement continue ? Pourquoi un écrivain est-il devenu le bouc émissaire de la confrontation identitaire entre L'islam et l'Occident ? La réplique ici est de donner à lire une oeuvre qui va plus loin que le blasphème.
« Logique du fantasme », l'expression revient tout du long du Séminaire comme un leitmotiv. Cependant, nulle leçon ne lui est consacrée, ni même un développement un peu soutenu. Est-ce à dire que la logique du fantasme joue ici le rôle d'une Arlésienne nouvelle manière ? Non, si l'on veut bien admettre que cette logique est le point de convergence des propos de Lacan, ce que j'ai voulu indiquer en intitulant le tout dernier chapitre « L'axiome du fantasme ».
C'est ainsi qu'il commence en croisant audacieusement le groupe mathématique de Klein avec le cogito cartésien, modifié de manière à délivrer l'alternative « Ou je ne suis pas, ou je ne pense pas ». D'où Lacan trouve occasion à résumer en quatre temps le cours d'une analyse.
Autre croisement mathématico-psychanalytique : l'acte sexuel éclairé à partir du Nombre d'or. Il s'ensuit qu' « il n'y a pas d'acte sexuel », amorce de ce dit devenu pont-aux-ânes : « il n'y a pas de rapport sexuel ».
On trouvera aussi l'invention d'une « valeur de jouissance », inspirée par Marx, et on aura la surprise de voir le grand Autre, « lieu de la parole », nouvellement défini comme « le corps », lieu primordial de l'écriture.
Bien d'autres vues et constructions saisissantes attendent le lecteur s'il veut bien suivre dans ses méandres, piétinements, revirements, et aussi avancées et fulgurances, une pensée obstinée et profondément honnête, qui, lorsqu'elle rencontre telle pierre d'achoppement, ne la contourne jamais, mais s'emploie à en faire une pierre angulaire.
Jacques-Alain Miller
Avant que d'être psychanalyste, Lacan a été psychiatre. On n'aurait pas republié ses premiers écrits s'ils n'invitaient à une lecture après coup. Que nous apprennent-ils de la formation du futur analyste ?
Sa clinique est enracinée dans l'unicité du cas. Celui-ci n'est jamais choisi que pour sa « singularité ». Il faut qu'il présente un « caractère original », une « atypicité ». On pourrait y reconnaître une orientation vers le « un par un » qu'impose la pratique analytique.
La singularité du cas se retrouve au niveau du détail clinique, serré avec un souci de précision poussé à l'extrême de la minutie. Lacan fera état plus tard de son goût pour « la fidélité à l'enveloppe formelle du symptôme ».
Trois autres traits font traces de l'avenir. C'est l'usage du mot de structure pour désigner l'organisation d'une entité formant un tout, et détachée de la notion de développement. C'est l'importance accordée à l'analyse des écrits des malades. Et de là, la connexion établie du symptôme à la création littéraire.
Le déboulonnage des statues au nom de la lutte contre le racisme déconcerte. La violence avec laquelle la détestation des hommes s'affiche au coeur du combat féministe interroge. Que s'est-il donc passé pour que les engagements émancipateurs d'autrefois, les luttes anticoloniales et féministes notamment, opèrent un tel repli sur soi ?
Le phénomène d'« assignation identitaire » monte en puissance depuis une vingtaine d'années, au point d'impliquer la société tout entière. En témoignent l'évolution de la notion de genre et les métamorphoses de l'idée de race. Dans les deux cas, des instruments de pensée d'une formidable richesse - issus des oeuvres de Sartre, Beauvoir, Lacan, Césaire, Said, Fanon, Foucault, Deleuze ou Derrida - ont été réinterprétés jusqu'à l'outrance afin de conforter les idéaux d'un nouveau conformisme dont on trouve la trace autant chez certains adeptes du transgenrisme queer que du côté des Indigènes de la République et autres mouvements immergés dans la quête d'une politique racisée.
Mais parallèlement, la notion d'identité nationale a fait retour dans le discours des polémistes de l'extrême droite française, habités par la terreur du « grand remplacement » de soi par une altérité diabolisée : le migrant, le musulman, mai 68, etc. Ce discours valorise ce que les identitaires de l'autre bord récusent : l'identité blanche, masculine, virile, colonialiste, occidentale.
Identité contre identité, donc.
Un point commun entre toutes ces dérives : l'essentialisation de la différence et de l'universel. Élisabeth Roudinesco propose, en conclusion, quelques pistes pour échapper à cet enfer.
Traduction inédite et introduction de Jean-Pierre Lefebvre.Alors que, 70 ans après sa mort, les textes de Freud tombent dans le domaine public, les éditions du Seuil ont entrepris de retraduire les plus grands d'entre eux.
Lydia Flem invite à prendre soin de soi, d'autrui et du monde. Que ce soit dans Comment j'ai vidé la maison de mes parents ou La Reine Alice, le souci de l'intime parcourt son oeuvre. On retrouve ici son choix de suivre les voies de la littérature et de l'art pour aborder des questions généralement cloisonnées dans telle ou telle autre discipline des sciences humaines.
Bouche bavarde oreille curieuse : quatre mots pour dire quatre décennies de textes inspirés par la psychanalyse, le cinéma, la sociologie, l'histoire de l'art, la photographie, le théâtre et l'opéra, la littérature et l'écriture de l'histoire. Lydia Flem y aborde la puissance des stéréotypes, notamment ceux du masculin dans les westerns, ces récits mythiques nés à Hollywood, où la femme est représentée comme une menace pour les hommes. Le regard masculin semble se définir par le déni du féminin. On y retrouve une idée sous-estimée : la fragilité de l'identité virile.
Comment penser l'impensable. Dans ce recueil, Lydia Flem ranime des interrogations anciennes toujours actuelles : depuis des siècles, la violence sous les toits paternels, le viol et l'inceste.
On se souvient alors de Freud, si présent dans ce volume. Car si l'inconscient est porteur d'art et de créativité, il nous confronte aussi, chaque jour, aux puissances de l'irraison quand la peur et la haine distillent des rumeurs. Dans son expression brute, immédiate, sans les filtres de la raison et de la distance, les pulsions meurtrières de l'humanité, qu'on imaginait archaïques, occupent soudain des scènes qui nous sont contemporaines.
En 1947 éclate à Madagascar une insurrection considérée comme le signe avant-coureur de la décolonisation en Afrique. Elle est très violemment réprimée, mais se poursuit jusqu'à la fin 1948. Octave Mannoni, qui vit dans le pays, écrit alors ce texte fondateur, qui constitue une critique radicale du colonialisme. Il y montre, par la voie de la psychanalyse et de la psychologie, comment les images que le colonisateur s'est fabriquées du colonisé le nient : « Le Nègre, c'est la peur que le Blanc a de lui-même. » Mannoni analyse le mécanisme de dépendance unissant le colonisé au colon par l'écran imaginaire que chacun a dressé entre lui et l'autre. La perspective anthropologique est donc aussi essentielle dans cette réflexion que les préoccupations politiques qui l'ont motivée.
Cette analyse, totalement nouvelle en 1950, provoqua de vigoureuses critiques d'Aimé Césaire et de Frantz Fanon, qui visèrent particulièrement le « complexe de dépendance » du colonisé. Mannoni y répondit dans des articles ou de nouvelles introductions aux rééditions successives du livre, dont cette nouvelle édition rend compte. Aucune analyse du racisme n'est neutre, il le sait. C'est donc aussi une « décolonisation de soi-même » qui s'impose, toujours à recommencer, comme il l'écrira dans un article ultérieur, donné ici à la suite du livre.
Octave Mannoni (1899-1989), psychanalyste, était aussi philosophe et ethnologue, une polyvalence qui l'a installé comme une voix originale dans le champ de la psychanalyse française.
Des centaines d'ouvrages ont été écrits de par le monde sur le médecin viennois, fondateur de la psychanalyse (1856-1939), et quelques dizaines de biographies lui ont été consacrées. Pourquoi proposer aujourd'hui une nouvelle lecture de sa vie et de son oeuvre ?
D'abord parce que, depuis la dernière en date de ces biographies, celle de Peter Gay (Hachette, 1991), de nouvelles archives ont été ouvertes aux chercheurs (sur ses patients, notamment) et l'essentiel de sa correspondance est désormais accessible. Mais aussi, surtout, parce qu'il restait beaucoup à dire sur l'homme et son oeuvre. Et d'abord ceci : l'invention de la psychanalyse est profondément liée à la critique de la famille traditionnelle, que Freud aura éprouvé dans sa propre enfance, lui, l'aîné des huit enfants d'Amalia et de Jacob Freud, né à Freiberg en Moravie.
Et encore ceci : le fondateur de la psychanalyse est d'abord un Viennois de la Belle-Epoque, sujet de l'Empire austro-hongrois, héritier des Lumières allemandes et juives. Quant à la psychanalyse elle-même, elle est le fruit d'une entreprise collective, d'un cénacle romantique au sein duquel Freud aura donné libre cours à sa fascination pour l'irrationnel, les sciences occultes, la part obscure de nous-mêmes, transformant volontiers ses amis en ennemis, à la fois Faust et Mephisto en quelque sorte. Toujours au nom de la raison et des Lumières.
Que Freud, encore, penseur de la modernité, mais conservateur éclairé en politique, n'aura cessé d'agir en contradiction avec son oeuvre.
Le voici en son temps, dans sa famille, en son cénacle, entouré de ses collections, de ses femmes, de ses enfants, de ses chiens, le voici enfin en proie au pessimisme face à la montée des extrêmes, pris d'hésitations à l'heure de l'exil londonien, où il finira sa vie.
Le voici dans notre temps aussi, nourrissant nos interrogations de ses propres doutes, de ses échecs, de ses passions.
Au milieu des années 60, Octave Mannoni écrit un article dans lequel il précise sa réflexion psychanalytique sur le fonctionnement de la croyance et celui du déni, conceptualisés par Freud mais considérés comme des thèmes marginaux en psychanalyse. Il va décortiquer l'expression si banalement employée « Je sais bien, mais quand même... », la placer au centre des problématiques propres à la Verleugnung (« déni de réalité ») et l'illustrer par des exemples passionnants tirés de l'ethnologie ou de la littérature : le récit d'un rite initiatique chez les Indiens Hopi ou encore celui d'un extrait des Mémoires de Casanova dans lequel le célèbre séducteur est saisi de superstition un soir de gros orage. D'une grande clarté, la prose vive et non dénuée d'humour d'Octave Mannoni avance avec précision dans les sinuosités du concept.
Des psychothérapeutes posent à Françoise Dolto des questions relatives à des cas précis qui leur posent problème. Sur le simple exposé du cas, Françoise Dolto intervient avec une maîtrise saisissante : établissant des analogies avec des cas semblables, repérant les résistances du thérapeute lui-même et donnant des indications sur la marche à suivre.
L'analyse d'enfants requiert l'écoute d'un langage qui n'est pas toujours verbal. Pour comprendre un enfant, il faut lui faire représenter par des dessins ou des modelages ce qu'il a à dire.
Françoise Dolto éclaire ces questions et guide les jeunes psychanalystes dans ce travail particulièrement difficile : comment amener les enfants à s'exprimer ? Comment respecter la relation de l'enfant avec ses parents tout en poursuivant la cure qui, pour ces derniers aussi, est souvent éprouvante ?
L'on comprend alors qu'un enfant, même très jeune, a déjà un long passé : le sien, plus celui de ses parents.
- L'homme continue à faire l'objet des interprétations les plus extravagantes, tantôt idole tantôt démon. Mais le contexte, lui, a changé : l'époque héroïque de la psychanalyse a pris fin, nous vivons l'éclosion des psychothérapies, mille et une façons d'apaiser les souffrances contemporaines en vertu de pratiques toujours plus réglementées par l'Etat. Rappeler, dans ces conditions, ce que fut la geste lacanienne, c'est se souvenir d'abord d'une aventure intellectuelle et littéraire qui tint une place fondatrice dans notre modernité : liberté de paroles et de moeurs, essor de toutes les émancipations (les femmes, les minorités, les homosexuels), l'espoir de changer la vie, l'école, la famille, le désir. Car si Lacan se situa à contre-courant de bien des espérances de l'après-68, il en épousa surtout les paradoxes, au point que ses jeux de langage et de mots résonnent aujourd'hui comme autant d'injonctions à réinstituer la société.Retour sur sa vie, son oeuvre, ce qu'elle fut, ce qu'il en reste, avec pour guide sa meilleure spécialiste.
- Historienne (Université de Paris - Diderot), Elisabeth Roudinesco est l'auteur, au Seuil puis chez Fayard, de plusieurs livres qui ont fait date, notamment Histoire de la psychanalyse en France, 2 vol. (rééd. " Pochothèque ", Hachette, 2009), Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée (1993, rééd. " Pochothèque ", Hachette, 2009), Dictionnaire de la psychanalyse (en coll. avec Michel Plon, 1997, 2000, et rééd. " Pochothèque ", Hachette, 2011), Pourquoi la psychanalyse (1999), La Famille en désordre (2002) et, avec Jacques Derrida, De quoi demain... Dialogue (2001). Chez Albin Michel, La Part obscure de nous-mêmes (2007) et Retour sur la question juive (2009). En 2010, au Seuil, Mais pourquoi tant de haine ?
- Le Séminaire XIX fait couple avec le précédent, le Séminaire XVIII ( D'un discours qui ne serait pas du semblant, 2007) : même formalisation pour structurer le même rapport sexuel, qui n'existe pas dans l'espèce humaine. En fait, les hommes et les femmes sont comme deux races distinctes, ayant chacune son mode de jouir et sa façon d'aimer. Du côté femme, pas de limite : l'infini est là. Du côté homme, il y en a toujours au moins un qui dit non : une exception fonctionne, moyennant quoi il y a, corrélativement, un tout : il y a le " tous les hommes ", le règne de l'universel, l'univers de la règle, le respect de la loi, la solidarité des tous pareils, la révérence pour le chef (lui non châtré), la mise en ordre, en rangs, l'armée, " je ne veux voir qu'une seule tête ", l'uniforme et l'uniformité, la bureaucratie, ennui, obsession, " je suis maître de moi comme de l'univers ", dépression... Côté femme, le divin " pas-tout " : il n'y a pas " toutes les femmes ", elles se prennent une par une, elles s'énumèrent, " mille e tré ", chacune est Autre, aucune n'est toute, toutes sont folles (ne respectent rien), pas folles du tout (pas obnubilées par les semblants), l'Éternel Féminin n'attire nullement vers en-haut, mais vous plaque ici-bas, au service de sa jouissance, insituable, insatiable...Texte établi par Jacques-Alain Miller - Jacques Lacan (1901-1981) est une figure incontournable de la psychanalyse, qui a marqué le paysage intellectuel français et international. Son oeuvre, en grande partie constituée par son enseignement - le Séminaire -, est publiée aux Editions du Seuil.
Quand j'ai résolu d'aborder cette année devant vous la question du Witz ou du Wit, j'ai commencé un petite enquête. Il n'y a rien d'étonnant à ce que je l'aie commencée en interrogeant un poète. C'est un poète qui introduit dans sa prose comme aussi bien dans des formes plus poétiques, la dimension d'un esprit spécialement danseur qui habite son oeuvre, et qu'il fait jouer même quand il parle à l'occasion de mathématiques, car il est aussi un mathématicien. J'ai nommé ici Raymond Quencau. Alors que nous échangions là-dessus nos premiers propos, il m'a raconté une histoire. C'est une histoire d'examen, de baccalauréat si vous voulez. Il y a le candidat, il y a l'examinateur.
- Parlez-moi, dit l'examinateur, de la bataille de Marengo.
Le candidat s'arrête un instant, l'air rêveur - La bataille de Marengo...?
Des morts ! C'est affreux... Des blessés ! C'est épouvantable...
- Mais, dit l'examinateur, ne pourriez-vous me dire sur cette bataille quelque chose de plus particulier ?
Le candidat réfléchit un instant, puis répond - Un cheval dressé sur ses pattes de derrière, et qui hennissait.
L'examinateur surpris, veut le sonder un peu plus loin et lui dit - Monsieur dans ces conditions voulez-vous me parler de la bataille de Fontenoy ?
- La bataille de Fontenoy ?... Des morts ! Partout... Des blessés ! Tant et plus, une horreur...
L'examinateur intéressé, dit - Mais monsieur, pourriez-vous me dire quelque indication plus particulière sur cette bataille de Fontenoy ?
- Ouh ! dit le candidat, un cheval dressé sur ses pattes de derrière, et qui hennissait.
L'examinateur, pour manoeuvrer, demande au candidat de lui parler de la bataille de Trafalgar. Celui-ci répond - Des morts ! Un charnier... Des blessés ! Par centaines...
- Mais enfin monsieur, vous ne pouvez rien me dire de plus particulier sur cette bataille ?
- Un cheval...
- Pardon, monsieur, je dois vous faire observer que la bataille de Trafalgar est une bataille navale.
- Ouh ! Ouh ! dit le candidat, arrière cocotte !
La valeur de cette histoire est à mes yeux de permettre de décomposer, je crois, ce dont il s'agit dans le trait d'esprit.
(Extraits du chapitre VI)
« L'angoisse ne semble pas être ce qui vous étouffe, j'entends comme psychanalystes. Et pourtant, ce n'est pas trop dire que ça devrait. » Le Séminaire, livre X, est consacré à l'angoisse et s'est tenu en 1962-1963. C'est, parmi les Séminaires de Lacan, l'un des plus importants (Lacan lui-même y voyait le « point de rendez-vous » de sa réflexion), l'un des plus attendus donc, et pas simplement chez les psychanalystes.
L'édition en a été assurée par Jacques-Alain Miller avec un souci appuyé de lisibilité.
Comment s'arrange-t-on avec l'angoisse ? L'un des Séminaires les plus fondamentaux de Lacan.
Comme pour les précédents volumes, l'édition est assurée par Jacques-Alain Miller, très médiatisé depuis quelques mois, et qui devrait lui-même accompagner cette parution par un livre (Bonheur à vendre) qui prolonge les analyses de Lacan sur l'angoisse.
Le second volume de ce séminaire extraordinairement vivant rassemble les éléments d'une éthique de la psychanalyse d'enfants.
Françoise dolto n'a cessé, durant son enseignement, de recentrer toutes les questions qu'on voit psychothérapeutes et analystes lui poser, vers cette exigence: respecter l'enfant comme sujet.
Cette exigence oriente toute la clinique: repérer la place du sujet dans son dire, qu'il parle juste ou "pas vrai", écouter oú "ça parle" de lui dans son symptôme, dans le discours de ses parents, voire dans la cacophonie généalogique.
Ne jamais céder aux refoulements, aux résistances de ceux qui traitent l'enfant comme objet partiel ou objet transitionnel, quand ce n'est pas tout simplement comme déchet.
Chacun sait que, par son expérience, françoise dolto a fait reculer les limites de la clinique en psychanalyse d'enfants. on verra avec quelle sûreté ou quelle audace analytique elle "accroche" le désir d'un enfant dans sa demande ou son symptôme; ne serait-ce qu'en lisant, dans le regard d'une petite psychotique, l'émotion sexuelle qui prive celle-ci de ses jambes; ou en reconnaissant, dans la phobie du pointu qui terrorise un jeune schizophrène, le souvenir de la menace de mort qui pesa sur lui, dans le ventre de sa mère.
En psychanalyse, il n'y a que des cas, dit souvent françoise dolto, et elle en présente ici de mémorables. en faire la somme ne saurait donner un tout. mais c'est par les voies qui donnent accès à tel d'entre eux que chacun peut découvrir, dans le saisissement, ce qu'est l'ouverture à l'inconscient. c'est en cela que, de toute évidence, l'expérience de françoise dolto est un enseignement.
Il convient que nous nous arrêtions à ce défilé, à ce passage étroit oú freud lui-même s'arrête, et recule avec une horreur motivée.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même, ce commandement lui paraît inhumain.
Ne peut-on dire que sade nous enseigne une tentative de découvrir les lois de l'espace du prochain comme tel ? - ce prochain en tant que le plus proche, que nous avons quelquefois, et ne serait-ce que pour l'acte de l'amour, à prendre dans nos bras. je ne parle pas ici d'un amour idéal, mais de l'acte de faire l'amour.
Nous savons très bien combien les images du moi peuvent contrarier notre propulsion dans cet espace.
De celui qui s'y avance dans un discours plus qu'atroce, n'avons-nous pas quelque chose à apprendre sur les lois de cet espace en tant que nous y leurre la captivation imaginaire par l'image du semblable ?.
Alcibiade a voulu subordonner socrate à l'objet de son désir à lui, alcibiade, qui est agalma, le bon objet.
Comment ne pas reconnaître, nous analystes, ce dont il s'agit ? c'est dit en clair - c'est le bon objet que socrate a dans le ventre. socrate n'est plus là que l'enveloppe de ce qui est l'objet du désir. c'est pour bien marquer qu'il n'est que cette enveloppe, qu'alcibiade a voulu manifester que socrate est, par rapport à lui, le serf du désir, que socrate lui est asservi par le désir. le désir de socrate, encore qu'il le connût, il a voulu le voir se manifester dans son signe, pour savoir que l'autre, objet, agalma, était à sa merci.
Or, c'est justement d'avoir échoué dans cette entreprise qui pour alcibiade le couvre de honte (...) c'est que devant tous est dévoilé dans son trait le secret le plus choquant, le dernier ressort du désir, qui oblige toujours dans l'amour à le dissimuler plus ou moins - sa visée est la chute de l'autre, a, en autre, a. (extrait du chapitre xii)
Cette mère inassouvie, insatisfaite, autour de laquelle se construit toute la montée de l'enfant dans le chemin du narcissisme, c'est quelqu'un de réel, elle est là, et comme tous les êtres inassouvis, elle cherche ce qu'elle va dévorer, quaerens quem devoret. Ce que l'enfant lui-même a trouvé autrefois pour écraser son inassouvissement symbolique, il le retrouve possiblement devant lui comme une gueule ouverte. [...] Voilà le grand danger que nous révèlent ses fantasmes, être dévoré. [...] il nous donne la forme essentielle sous laquelle se présente la phobie. Nous rencontrons cela dans les craintes du petit Hans. [...] Avec le support de ce que je viens de vous apporter aujourd'hui, vous verrez mieux les relations de la phobie et de la perversion. [...] J'irai jusqu'à dire que le cas du petit Hans, vous l'interpréterez mieux que Freud n'a pu le faire. (Extrait du chapitre XI) La castration, ce n'est pas pour rien qu'on s'est aperçu, de façon ténébreuse, qu'elle avait tout autant de rapport avec la mère qu'avec le père. La castration maternelle - nous le voyons dans la description de la situation primitive - implique pour l'enfant la possibilité de la dévoration et de la morsure. Il y a antériorité de la castration maternelle, et la castration paternelle en est un substitut. (Extrait du chapitre XXI) [Dans le cas du petit Hans,] la transformation qui s'avérera décisive [est] celle de la morsure en dévissage de la baignoire. D'ici à là, le rapport des personnages change du tout au tout. Ce n'est pas pareil, que de mordre goulûment la mère, appréhension de sa signification naturelle, voire de craindre en retour cette fameuse morsure qu'incarne le cheval - ou de dévisser la mère, de la déboulonner, de la mobiliser dans cette affaire, de faire qu'elle entre elle aussi dans l'ensemble du système, et, pour la première fois, comme un élément mobile et, du même coup, équivalent aux autres.
(Extrait du chapitre XXIII)
je lis sous la plume de sollers que claudel est d'abord pour lui celui qui a écrit : " le paradis est autour de nous à cette heure même avec toutes ses forêts attentives comme un grand orchestre invisiblement qui adore et qui supplie.
toute cette invention de l'univers avec ses notes vertigineusement dans l'abîme une par une où le prodige de nos dimensions est écrit. " eh bien, lacan est pour moi celui qui dit dans ce séminaire " l'enfer, ça nous connaît, c'est la vie de tous les jours. " c'est la même chose ? ah, je ne crois pas. ici, pas d'adoration, pas d'orchestre invisible, ni vertiges ni prodiges. commençons par la fin : lacan " évacué " de la rue d'ulm avec ses auditeurs, non sans résistance et tapage.
l'épisode défraya la chronique. qu'avait-il donc fait pour mériter ce sort ? s'adresser, non pas seulement aux psychanalystes, mais à une jeunesse encore grisée par les événements de mai, qui l'accepte pourtant comme un maître du discours dans le même temps où elle rêve de subvertir l'université. que leur avait-il dit ? que " révolution " veut dire revenir à la même place. que le savoir impose désormais sa loi au pouvoir, et qu'il est devenu immaîtrisable.
que la pensée est comme telle une censure. il leur parle de marx, mais aussi du pari de pascal, qui devient entre ses mains une nouvelle version de la dialectique du maître et de l'esclave, et aussi des fondements de la théorie des ensembles. on passe à une clinique de la perversion, aux modèles de l'hystérique et de l'obsessionnel. tout cela communique, scintille, captive. entre les lignes, se poursuit le dialogue de lacan avec lui-même sur le sujet de la jouissance, et le rapport de celle-ci avec la parole et le langage.
La Guerre des étoiles, Titanic, l'imaginaire des contes et légendes, le spectacle des cruautés humaines, le rêve, le comportement des animaux : Elisabeth Roudinesco mobilise bien des supports "concrets" pour permettre aux adolescents (et à leurs parents...) d'accéder à ce continent sans rivages ni localisation dans l'être humain : l'inconscient.Chemin faisant, et parce que l'intelligence de son jeune interlocuteur est stimulée dans son propre système de référence, on accède sans douleurs à la complexité du psychisme humain, où l'inconscient impose la vérité.Une grande réussite pédagogique.